L’application stricte du droit français en matière de report et de non-indemnisation des congés payés des fonctionnaires absents pour raison de santé est incompatible avec le droit européen. Non sans risque juridique pour les employeurs, qui ont intérêt à aller dans le sens du dernier s’ils le peuvent.
C’est une règle bien connue : les agents empêchés de prendre leurs congés dus pour une année de service pour cause de maladie ne peuvent bénéficier d’un report l’année suivante. Ce dans les trois versants de la fonction publique.
Un droit européen contraire, précisé par son juge…
C’est aussi une règle contraire au droit de l’Union européenne tel qu’interprété par son juge. En effet, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 (dont le délai de transposition est expiré depuis mars 2005…) oblige les États membres à prendre « les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ». Visant « tous les travailleurs », elle s’applique au secteur public et inclue les fonctionnaires.
Selon l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) [1], un agent qui n’a pu bénéficier de ses congés annuels payés à cause de son état de santé, dont ceux acquis pendant son congé, a droit au report. Tout en reconnaissant ce droit, la CJUE en a fixé des limites afin d’éviter aux employeurs d’être confrontés au risque d’un cumul trop important de périodes d’absence et aux difficultés que cela pourrait impliquer pour l’organisation du travail. Ainsi, la Cour a-t-elle précisé que les dispositions en cause doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à des dispositions nationales limitant le droit au report et, par conséquent, aux limites apportées au cumul des congés payés d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives [2]. Ainsi, ce dernier ne peut prétendre à un droit de cumul illimité de tous ses droits acquis durant son absence [3]. La Cour a alors pu juger que la limitation du droit au report à une période de 15 mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint était légale [4]. Mais que des périodes de report de 6 mois et 9 mois étaient insuffisantes [5].
… mais reconnu par le Conseil d’État
Suivant le juge européen, le juge administratif français reconnaît ce droit au report. Le Conseil d’État a jugé que les dispositions internes qui « ne prévoient le report des congés non pris au cours d’une année de service qu’à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l’impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d’un congé de maladie […] sont incompatibles dans cette mesure avec les dispositions de l’article 7 de la directive 2003/88/CE » [6].
Appliquant cette jurisprudence, le juge administratif estime qu’en l’absence de toute disposition nationale fixant une période de report des congés annuels au sens de la directive 2003/88/CE au profit des agents empêchés de prendre leurs congés annuels pour cause de maladie, une période de report de 15 mois après le terme de l’année où les congés ont été générés peut-être raisonnablement admise [7]. Cependant la limitation du droit au report à ce délai ne repose sur aucun fondement juridique. La CJUE a seulement relevé dans les affaires dont elle était saisie qu’un délai de 15 mois était compatible avec la directive. C’est en cela que le Conseil d’État a récemment relevé que la Cour européenne « a dit pour droit que les congés annuels non pris pour cause de maladie doivent pouvoir être reportés sur une période qui doit “dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée” » [8]. Ainsi, le juge administratif recherche dorénavant, tout en gardant pour limite la non-perturbation du fonctionnement du service, si le délai de report fixé a été de nature à permettre à l’agent d’exercer effectivement son droit à congé [9].
Quid de l’indemnisation des congés non pris ?
Selon le droit interne, un congé non pris ne donne pas non plus lieu à une indemnité compensatrice. Ce qui, là encore, est contraire au droit de l’Union européenne qui fixe une exception en cas de fin de relation de travail. Ainsi, selon le droit de l’UE, le travailleur qui n’a pas été en mesure, pour des raisons indépendantes de sa volonté, dès lors qu’il était en congé de maladie, d’exercer son droit au congé annuel payé avant la fin de la relation de travail doit bénéficier d’une indemnité financière. Pour la Cour, la circonstance qu’un travailleur mette, de son propre chef, fin à sa relation de travail, est sans incidence. Il en va de même lorsque la relation de travail prend fin en raison du décès du travailleur [10].
Concernant la durée des congés à indemniser, la CJUE précise qu’elle doit être de 20 jours par an, correspondant à la durée minimale imposée par le droit de l’Union européenne (quatre semaines de congés annuels [11]).
Dans ces circonstances, le juge administratif français reconnaît l’existence d’un droit à indemnisation. Le Conseil d’État juge ainsi expressément que les normes internes qui s’opposent à l’indemnisation des congés non pris, sans réserver le cas des agents en fin de relation de travail dans l’impossibilité de les prendre antérieurement en raison d’un congé de maladie, sont incompatibles avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE [12]. Sous l’impulsion du droit de l’UE, la jurisprudence interne reconnaît aussi la possibilité d’indemniser les congés annuels non pris pour maladie [13]. Toutefois, suivant la CJUE, le juge administratif limite ce droit à indemnisation aux seules quatre semaines (soit 20 jours) de congé payé annuel minimal pour chacune des périodes de référence [14].
Quelle stratégie pour l’employeur public ?
La directive 2003/88/CE n’est pas correctement transposée en droit interne. Un fonctionnaire pourra se prévaloir de ces dispositions à l’appui d’un recours en excès de pouvoir contre une décision de son autorité administrative lui refusant, en application des normes internes, un report voire une indemnisation de ses congés payés alors qu’il était en maladie [15]. En l’occurrence, au regard de la jurisprudence précitée, l’administration, bien qu’ayant appliqué la réglementation interne, risque fortement de voir sa décision annulée… À condition que l’agent motive suffisamment son moyen au regard du droit de l’Union et de sa situation médicale.
Dans l’attente de l’évolution de la réglementation nationale, la pratique la plus sécurisée juridiquement serait de permettre le report, voire d’indemniser les agents n’ayant pu bénéficier de leurs congés payés dans les modalités exposées précédemment. Même si pour des questions de gestion interne du personnel, il peut toujours en être décidé autrement.
[1] CJUE, 20 janvier 2009, Gerherd Schultz-Hoff, aff. C-350/06
[2] CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C-214/10
[3] CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C-214/10
[4] CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C-214/10
[5] CJUE, 20 janvier 2009, Gerherd Schultz-Hoff, aff. C-350/06 et CJUE, 3 mai 2012, C-337/10, « Georg Neidel »
[6] Conseil d’État (CE), 12 octobre 2012, n° 346648 « Lliboutry » ; CE 8 janvier 2016, n° 385818
[7] Tribunal administratif (TA) Amiens, n° 1401716, 30 janvier 2015 ; CE, avis n°406009 du 26 avril 2017 ; CE, 14 juin 2017, n° 391131
[8] CE, 13 mai 2019, n° 418823
[9] TA Amiens, 22 février 2018, n° 1503450
[10] CJUE, 20 janvier 2009, Gerherd Schultz-Hoff, aff. C-350/06 ; CJUE, 12 juin 2014, n° C-118/13 « Bollacke » ; CJUE, 20 juillet 2016 n° C-341/15
[11] CJUE, 3 mai 2012, C-337/10, « Georg Neidel »
[12] CE, 12 octobre 2012, n° 346648 « Lliboutry » ; CE 08 janvier 2016, n° 385818
[13] CAA Marseille, n° 15MA02573, 6 juin 2017 ; TA Orléans, n° 1201232, 7 janvier 2014 ; TA Amiens, n° 1401716, 30 janvier 2015
[14] TA Orléans, 7 janvier 2014, n° 1201232
[15] TA Orléans, 7 janvier 2014, n° 1201232