Qui dirige les directeurs ? A qui rendent-ils compte ? A un DG, à un DR, à une ARS, à un Conseil d’Administration ? Voyage dans la diversité des autorités hiérarchiques d’un directeur d’Ehpad.
« Oui, super ce sujet ! » : c’est à peu près en ces termes que lors d’une conférence de rédaction l’équipe du Mensuel a accueilli l’idée de réaliser un reportage sur… ceux qui dirigent ceux qui dirigent. En clair, qui sont les chefs des chefs ? Ou plus concrètement encore : à quelle autorité réfèrent les directeurs d’établissements ?
Quelle drôle d’idée nous a pris là… Se lancer dans un reportage sur les comptes en Suisse des PDG de groupe ou sur l’influence de la franc-maçonnerie dans les nominations aurait probablement constitué d’aimables ballades de santé à côté du sujet que nous avions choisi là… Rarement, en effet, un appel à témoignages n’aura fait un tel flop. Interrogés par nos soins, les interlocuteurs rencontrés dans le cadre de cet article s’en sont même amusés : « Normal que personne ne veuille en parler, sujet sensible » ! Les écrits, non plus, ne sont pas pléthoriques sur le sujet. Pourtant, chaque conversation avec un directeur amène irrémédiablement à évoquer sa relation avec son siège ou son Conseil d’Administration. Mais de là à en parler, il y a un pas. Manifestement difficile à franchir.
“C’est un sujet extrêmement complexe et il faudrait des jours pour expliquer tous les schémas hiérarchiques possibles.”
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Interrogée pour aider à comprendre les enjeux de la relation « directeur/employeur », Pauline Delentaigne-Leroy, avocate en droit public auprès d’établissements sanitaires et médico-sociaux, prévient : « C’est un sujet extrêmement complexe et il faudrait des jours pour expliquer tous les schémas hiérarchiques possibles. Il existe tellement de disparités entre un directeur intervenant au sein d’un Ehpad public autonome, hospitalier, territorial, associatif ou privé commercial et tellement de disparités aussi selon la taille de l’entité en question. Dire que l’on est directeur d’Ehpad ne dit rien de son poste, de sa carrière et de la manière dont elle va se dérouler ».
Pourtant, il est bien légitime de s’interroger : qui dirige les directeurs ? Quel est le lien hiérarchique qui s’impose à eux ? Selon Arnaud Chevalier, ancien directeur d’Ehpad ayant exercé dans le secteur privé et aujourd’hui formateur pour les établissements médico-sociaux, la configuration la plus simple est peut-être celle d’un Ehpad privé : « Dans un groupe commercial ou associatif, les choses sont très structurées (même si elles le sont aussi ailleurs !). Le directeur est salarié et a un supérieur hiérarchique, un N+1, qu’il soit directeur régional ou directeur général, comme dans toute entreprise. Celui-ci fixe et évalue des objectifs revus lors des entretiens professionnels ».
Dans le secteur associatif, le directeur a généralement un chef clairement identifié : le président du Conseil d’Administration. Mais là encore, combien de scénarios différents. Ici, le président sera un retraité actif, envahissant même, présent 8 heures par jour et qui peut même se prendre pour un directeur à la place d’un directeur. Vous savez, cet ancien cadre d’entreprise qui, à la retraite, se prend toujours pour le chef. Il y a aussi le président âgé, qui aime les honneurs, que sa fonction rend heureux d’avoir encore un rôle social mais qui, au fond, n’est pas gênant au quotidien pour le directeur. Et puis il y a enfin le directeur d’un établissement associatif membre d’un groupe type SOS, Croix-Rouge ou Fondation Partage & Vie : là, l’autorité procède, comme dans n’importe quel groupe privé, d’un directeur régional et/ou d’un directeur général « national ».
Le gigantisme des groupes commerciaux a rapidement généré dans les années 2000 des directions « régionales » qui en termes de management des directeurs d’établissements jouent un rôle majeur : dans des groupes comme Orpéa ou Korian, ce sont généralement les « DR » qui jugent et évaluent au quotidien les directeurs de sites. C’est donc au fond dans le secteur public et en moindre mesure associatif que la question « hiérarchique » est la plus complexe.
Pour Vanessa Monottoli, directrice d’un pôle gérontologique Ehpad/SSIAD géré par une association qui ne dispose que de cet établissement, le lien hiérarchique est moins formel : « Bien sûr, je dispose d’un Document Unique de Délégation et d’entretiens professionnels. Mais en réalité, nous travaillons dans un climat de grande confiance et de transparence puisque je retrace mes actions dans mon rapport d’activité annuel ».
Même constat chez Dina Rousseau, directrice de deux Ehpad publics autonomes qui doit donc jongler avec deux Conseils d’administration. Les maires présidant chacun de ces CA ont contribué à son recrutement mais lui laissent aujourd’hui beaucoup de liberté dans l’exercice de ses fonctions, sous couvert d’un lien étroit et direct. Dina Rousseau rappelle qu’en tant que directrice d’établissement public, elle est aujourd’hui évaluée au cours d’un entretien mené par le Directeur territorial de l’ARS : « C’est certes un peu étrange d’être évaluée par l’ARS et il arrive que cet entretien donne plutôt lieu à une évaluation des objectifs de l’établissement que de mes propres objectifs professionnels mais ces échanges se déroulent de manière saine et préparée. Ce qui me semble le plus curieux est que mon poste soit financé par le Département (via la section Hébergement) mais que ce soit l’ARS qui me note et qui décide éventuellement de m’attribuer une prime ! ». Concernant la conception du lien qu’elle entretient avec l’ARS, Dina Rousseau considère qu’elle reste « davantage une autorité de tutelle de l’établissement qu’une autorité hiérarchique », puisque l’Agence n’a pas de réel pouvoir de sanction.
Car pour les directeurs de la fonction publique hospitalière (les fameux D3S), c’est le Centre National de Gestion (CNG) qui gère leur carrière, organise les nominations et prononce, éventuellement les sanctions. Selon Pauline Delentaigne-Leroy, « ce type de décision reste rare, le CNG étant éloigné de ce qui se passe sur le terrain ». Il se murmure alors que les directeurs soupçonnés d’incompétence sont simplement déplacés et affectés dans un nouvel établissement mais cela, aucune personne interrogée n’a voulu en témoigner directement !
Autre cas de figure particulier, le directeur d’un établissement public territorial relevant d’un CCAS/CIAS n’aura évidemment pas du tout les mêmes relations hiérarchiques et responsabilités au sein d’une grande ville bénéficiant de services support et d’un Directeur général des services par exemple ou si l’Ehpad qu’il dirige est la seule activité du CCAS de la commune.
« Dans une petite ville, tout se sait… »
Mais alors, qui évalue et contrôle la qualité du travail des directeurs, lorsqu’ils ne sont pas dans une entreprise aussi structurée qu’un groupe privé ? « Le plus grand rétrocontrôle vient des résidents, des familles et des professionnels, à condition de favoriser la libre circulation de la parole évidemment. Surtout dans une petite ville où tout se sait ! Le directeur est alors très exposé et très facilement jugé » estime Dina Rousseau. « Certes, les familles et les professionnels constituent un véritable garde-fou » confirme Henry Herdt, directeur de sites d’un Hôpital de proximité et de deux Ehpad rattachés à un centre hospitalier support de GHT. Mais il tempère « Il faut veiller à maintenir un équilibre. Il ne s’agit pas non plus que ce soient les syndicats qui dirigent l’action du directeur par leur seule force ou les usagers qui fassent autorité non plus. La place de chacun doit être valorisée mais respectée ».
“Laisser les pleins pouvoirs au directeur lui fait courir un plus grand risque de faire les mauvais choix, de commettre des erreurs, involontaires ou non.”
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Henry Herdt fait partie de ces directeurs au parcours atypique, comme il le dit lui-même. « J’ai bénéficié du dispositif récent qui permet de nommer sur des postes de directeur d’établissement hospitalier des contractuels recrutés par l’ARS ou par le Directeur général d’un l’hôpital. Cela a été mon cas et j’ai obtenu le poste à la suite de différents entretiens avec le DG. Mon « patron » c’est donc lui, c’est à lui que je rends des comptes, en étroite collaboration, mais je dois dire tout en bénéficiant d’une grande autonomie. Par conséquent, je rends également des comptes directement à l’ARS, au Département, aux conseils de surveillance et d’administration ».
Et c’est peut-être là le point commun de ces directeurs : outre la sensation qu’au fond, quel que soit le statut, leur métier est le même, ils partagent également le constat que quel que soit le niveau de formalisation et la force du lien hiérarchique, ils disposent d’une grande autonomie. Paradoxalement, c’est le danger qu’y voit Arnaud Chevalier : « La latitude accordée aux directeurs d’Ehpad est attractive et rend le métier passionnant. Mais il est aussi plus confortable pour un directeur de pouvoir partager, de ne pas être seul, d’être soutenu. Laisser les pleins pouvoirs au directeur lui fait également courir un plus grand risque de faire les mauvais choix, de commettre des erreurs, involontaires ou non. Ce peut être le cas quand le responsable hiérarchique du directeur ne maîtrise pas parfaitement les enjeux et complexités du métier. ». C’est d’ailleurs cela que Vanessa Monottoli cherche à éviter quand elle évoque les 42 notes transmises au Président de l’association pendant la période COVID ou bien encore les points hebdomadaires qu’elle mène dans un esprit de « travail d’équipe » avec le Président.
Directeurs et élus : des liaisons dangereuses ?
Reste que derrière cette relative autonomie hiérarchique n’en demeure pas moins d’autres enjeux dans la relation entre le directeur et les entités dont il dépend. L’illustration la plus courante est celle du lien qui peut exister entre le Maire d’une commune (surtout si celle-ci est relativement petite) et le directeur de l’Ehpad public autonome ou territorial implanté sur son territoire. Dina Rousseau en témoigne : « Les maires n’ont pas toujours une lecture technique des dossiers et c’est bien normal. Ils sont habituellement intéressés par l’image de l’établissement à l’extérieur et par le fait que les habitants de la commune puissent avoir une place de manière prioritaire. En tant que directrice, je suis là pour vérifier la neutralité du process d’admission, afin de garantir que la décision reste objective ».
Ce type de « pression » n’est pas rare, selon Pauline Delentaigne-Leroy : « Il arrive que des membres du Conseil d’administration, et notamment les élus locaux, insistent auprès du directeur pour favoriser le choix d’un candidat, pour créer un poste, pour influencer des négociations en matière RH. Cela amène parfois à des situations complexes où le Maire prend un engagement que le directeur de l’Ehpad se voit ensuite imposer ».
Autre aspect d’un certain mélange des genres : la présence d’élus du Département dans les Conseils d’administration des établissements publics… alors même que le directeur peut en parallèle essayer de négocier son CPOM avec ce même Conseil départemental. Dina Rousseau considère qu’il n’y a pas d’ambiguïté : « En ce qui concerne les demandes relatives à l’établissement et ses financements, mes interlocuteurs restent les services du Conseil départemental et pour le moment, tout se passe bien ! J’avoue que la présence dans mon CA de représentants de cette autorité de financement est un levier que je ne pense donc que rarement à activer. »
Pour Henry Herdt, travailler avec des élus peut-être une chance : « Pour moi, cela n’est pas bloquant. On mène les projets ensemble, dans une logique territoriale, une logique de parcours global de santé. Je ne ressens pas de pression mais au contraire généralement du soutien, ensemble au service des habitants du territoire. Mais je reste conscient que si ça ne colle pas entre les élus et le directeur, ou avec son employeur, le résultat ne sera pas le même. Quel que soit le secteur d’activité, la qualité d’une collaboration passe d’abord par les qualités humaines et de communication de ses acteurs. La ligne rouge c’est l’impact d’une éventuelle mésentente dans la durée sur le bon fonctionnement de l’établissement. Après, dans ces situations, personne n’oblige personne à travailler ensemble, les directeurs le savent, ils savent prendre leurs responsabilités le cas échant, ça fait partie du job et c’est aussi une liberté appréciable ». Encore faut-il s’entendre donc ! Car si le Maire participe parfois au choix du directeur d’un établissement public territorial, il est également fréquent que le directeur soit en poste depuis bien plus longtemps que le Maire récemment élu. Le rapport (de force) est donc évidemment différent.
Arnaud Chevalier conclut : « Les enjeux politiques existent mais sont différents selon les statuts. Dans tous les cas, les relations avec les élus de proximité sont très importantes pour répondre aux enjeux des territoires et inscrire l’établissement dans le tissu local. Par exemple, pour ouvrir l’établissement sur son environnement. Le directeur aura une relation différente avec les élus de sa commune si les élus sont membres du conseil d’administration. Encore plus s’il y a un lien de hiérarchie. Les groupes ayant des ambitions d’expansion demandent aux directeurs d’être en lien avec les élus pour anticiper les opportunités. »
Alors à cette question de « qui dirige qui ? », Pauline Delentaigne-Leroy se lance : « Certes dans la fonction publique hospitalière, le système de nomination du directeur par le CNG implique le risque qu’il n’y ait aucune affinité entre le Conseil d’administration et le Directeur mais il y a aussi beaucoup moins de lien de subordination et donc de tentation de devoir céder aux éventuelles pressions ». Arnaud Chevalier complète ce jeu de comparaison : « Dans un groupe privé, qu’il soit associatif ou commercial, la stratégie est fixée par le siège et le directeur est chargé de l’appliquer. A l’inverse, dans une petite association ou un établissement autonome, le directeur pourra être davantage partie prenante en ce qui concerne les orientations stratégiques ». Alors, c’est qui le patron ?